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S'asseoir au bord du monde

19 août 2023

Bleu machine.

 

bleuemachine

Illustration: ELSÄH ART

J’écris avec le bruit lourd de la machine à laver en fond sonore. Elle tourne quelques secondes, lave, lave, puis se stoppe, puis retourne à nouveau, remet un peu d’eau, lave, lave, stoppe. J’entendrais presque la mousse savonneuse s’immiscer dans les fibres. Je trouve que c’est une belle allégorie de ces dernières semaines passées.  S’insérer dans une machine à laver mes éclats de larmes. Pourvue d’un appendice en caoutchouc qui se pose sur les arrêtes du nez, un peu comme un masque magique. De « The mask » on est passé à « The noze ».

Une fois enfilé, la machine s’est mise en route. Elle a laissé sa lessive me traverser le corps pour le laver, frotter, désengorgé, rincer, essorer. Elle s’est infiltrée dans les moindres parcelles de ma peau, de mes muscles, de mes articulations, tout le stroma, les capillaires, les artères et les veines de mon vaisseau de vie. J’ai été ballotée dans tous les sens. J’ai couru, sauté, dansé, tapé sur les murs, rebondi, roulé, me suis penchée, accroupie, suis tombée, me suis relevée, ai sautillé, contracté, étiré mes mains, mes pieds, ouvert grand mes yeux et froncé fort mes arcades sourcilières, agrandi ma bouche jusqu’au plafond, serré les dents et tordue ma mâchoire, secoué la tête, mes cheveux, sortie la langue, froncé le nez, gonflé mes joues, haussé les épaules et courbé mon dos, et j’ai parcouru l’espace infini de mon propre corps dans l’espace infini des possibilités. J’ai embrassé le mouvement et ai trouvé en lui le meilleur des amants: mon propre mouvement. Et surtout, j’ai ri. Nerveusement, ou par miroir, ou goulûment, mais du fin fond de mes entrailles qui se sont dénouées. Enfin. Splotch.
Et puis, je me suis prise au jeu de cette conversation interne et y suis retournée illico presto avec mon propre appendice: de couleur bleu.
Bleue. Bleue. Bleue.

Là, le temps s’est arrêté. Autour de moi, les fous. C’était grandiose. Les murs étaient des parois de jeux. Le sol un désert, une salle de fête, une chambre d’enfant ou une forêt. Les choses pouvaient être si douces que mes mains les portaient à ma bouche. J’ai été à la fois cowboy, branche d’arbre, et enfant perdu qui chante. J’ai aussi été ce que je ne savais pas. Faire l’expérience d’être perdue, complètement. De n’avoir aucune pierres de petit Poucet à ramasser à l’extérieur. Tout était en dedans: toutes les routes, les itinéraires, les impasses et les silences. Ce point de vide du moi qui interroge son propre fait d’être, empoisonné par les cases-cadres. Chercher l’en-dessous. Investiguer sous les milles et une couches ce qui reste accroché après le dépouillement total. Ça m’a tiré des cris, des rires, des gros pétages de plomb délicieux et des petites larmes. Des larmes de gouttes-de-trop qui avaient besoin d’éclore par le truchement, non pas de la tristesse, mais du délestage.


C’était là, le meilleur. La rencontre que j’y ai faite: (m)toi. Je crois que tu es espiègle, joueu-se, curieu-se, un peu caustique mais pas trop, juste ce qu’il faut pour ne pas que d’autres chaussures perfides te (re)marchent dessus. Ni celles des autres, ni les tiennes. Bien entendu, tu es en colère, mais au fond pas tant que je l’aurai cru, parce que très vite celle-ci est embrasée par un espèce de phénix de recherche de l’émerveillement. Le monde redevient un espace de jeu. Enfin, je crois surtout que tu n’es ni femme ni homme, et pas vraiment adulte.
Pas du tout même. Je crois que les adultes te rendent triste et que tu as envie de leur tendre de la tendresse, de leur tordre le cou des sourires à l’envers et de leur faire la pantomime du rire-de-tout-car-tout-est-trop-sérieux, parce que tout le noir qui les traverse te rentre en dedans et te fait un mal de chien abandonné. Parce que toi, le noir, tu le change en bleu, profond comme le ciel. Même si ça met une infinie éternité à éclore. Le temps n’existe que chez les impatients. Je le sais, le suis: c’est l’impatience de vivre en grand comme si on était soi-même l’horizon tout entier.

Je ne veux pas enfanter. J’aurai bien trop d’une vie pour déjà m’enfanter. Et déjà Bleue donne des petits coups de pieds en dedans du ventre pour sortir. El’ a de longues jambes, et chaque petit coup fait éclore une émotion. El’ a faim de grandiose et de minuscule. El’ sait qu’elle peut être infiniment petit-e et univers. Infiniment intime et universel’. El’ sait qu’el’ a le pouvoir de raconter ce que d’autres préfèrent enfouir. Et el’ sait que les ténèbres n’ont pas laissé que des cicatrices: elles ont prolongé les racines dans le profond du sol, du sol-en-soi, plus loin encore. Des racines noueuses increvables. Enfin, el’ sait que pour monter-en-haut, il faudra desendre-en-bas. Dans l’obscurité la plus totale. Sans lampions. Juste en respirant fort, parce que le cœur s’emballera vite et qu’il faudra oxygéner le récit.

Parfois le réel me remet la tête dans le panier de linge sale. Là où tout est humide et sent le moisi. Souvent la nuit, lorsque le conscient se repose et que l’inconscient continue de tambouriner pour raconter des trucs qui grattent. Fort heureusement, le petit matin les rend vite flous et les remporte dans la cave. La cave humide. La caverne où les figures continuent de danser en ombre sur les parois, suintantes. Elles sont toujours là et me narguent. Je pense que je vais repeindre ce mur des lamentations en bleu pour les effacer totalement. Ce sera ma future chambre, où je pourrai reposer et mes fatigues, et mes déceptions et arrachements sur le rebord d’une fenêtre qui saluera chacune des matinées de petites montagnes colorées de ciel. Là où je pourrai souffler dessus comme sur de la poussière. De la poussière de cendres de choses mortes. Disparues.

Je dépose des cairns sur le bord de rivière, comme un amoncellement de souvenirs qui doit être empilés puis emmené par les courants d’eau vive et fraîche. Ma sauveuse au bandanas rouge sautille comme une truite qui a des pattes. Ou une loutre qui a des écailles? Le ronron de l’eau chante en mezzo forte. À côté de moi est assise Sol’, qui me murmure « vas où bon te semble, et chante, danse, crie, mange ce qui te meut ».
Depuis que l’appendice s’est posé sur mon nez, j’ai arrêté de lui fermer la porte au sien: j’ai compris que c’était grâce à Sol’ que Bleue pourrait passer cette porte. Alors en ce moment on est plutôt copines. Faut dire qu’elle est un peu cocue avec la chienne, ça rend les choses plus simple pour se côtoyer. Mais j’aime assez la sentir, le soir quand je me couche et étire mes longues jambes dans tous les sens sous le drap, sans barrière corporelle extérieure. D’ailleurs, je crois que c’est elle qui prend toute la place maintenant, à tel point que si je songe à une présence physique possible à sa place ça m’en vient foutre la nausée. Ça me donne l’image d’un cours d’eau détourné et ça me dégoûte. Je veux que mon cours d’eau file droit dans son lit sans aucun barrage ni détour. On a bien vu ce que ça donnait sinon: des mega tempêtes, de la frustration, des colères maladives et l’oubli de soi. Le tout emballé avec un joli nœud d’attentes. Et des douleurs qu’on te re-balance dans la gueule à coups de fuite. Merci mais non merci.
Sans compter que ce date avec Sol’, je l’ai payé cher. Elle a été très patiente. Ce serait grotesque de la larguer maintenant pour un autre maudit de chum (je viens de lire un roman d’une québécoise, du coup j’ai des osti de travers de langage qui ne m’appartiennent pas du tout et je trouve ça bien rigolo).

Aller « mieux ». Certains en font des livres de développement pas du tout personnel, ou des spectacles. Moi je crois, et je n’invente rien depuis Shakespeare, que la vie même en est un. Et que je n’ai plus envie de rester dans la loge des abimes à maquiller des pleurs et des peurs. J’aimerai les maquiller sous le spot, ça fera mieux fondre les couleurs: fond blanc, deux ronds bleus autour des yeux et deux traits noirs au dessus, l’un baissé, l’autre relevé en arc, pour dire avec encore plus de force: ma plus grande réussite à été d’apprendre à naviguer entre un sourcil qui se lève de peur et de chagrin ou qui se fronce de colère ou de dégoût sans lâcher la barre.

La machine est finie. Tout est essoré. J’étends mes mots sur le fil à pensées. Ici, malgré la schizophrénie climatique du traumas anthropocène et sa canicule tardive de cet été 2023, au creux de l’écrin vert de la montagne, l’air est plus doux que dans les enfers bitumés. Je sais que l’hiver sera plus froid, mais surtout loin du gris bétonné qui ne réchauffera jamais aucune peau: ce sera l’humus qui craquera sous le pieds et le chant des arbres nus frissonnants qui berceront les nuits.

Pardi, ce sera beau. Beau comme le bleu.

 

Ne t’arrête pas au monde visible

l’Univers et ses mystères te seront dévoilés

Crois en tes rêves ils sont possibles

Tu as toujours été si grande,

à toi de ne pas l’oublier…

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7 mai 2023

Le hoquet du ciel.

bleue et l'orage

Illustration: ELSÂH ART

 

*

Le ciel est découpé. Une partie grise, une partie bleue. Il grommelle. Il tonne au loin. Il se rapproche. Toujours, l’orage revient. Quand les masses d’air du cœur trop refroidi entrent en collision avec le réel brûlant. Quand il ne lui est plus possible de retenir la tension qui gonfle son ventre de nuages.
Le ciel est découpé: une partie grise, comme le vin dans le verre à l’ombre du ciel. Une partie bleue, comme le reflet sur mes yeux délavés. Il gronde, comme une voix colère, là bas. Là bas loin dans le passé.
C’est un dimanche comme un lundi, depuis que le temps s’est arrêté sur le chagrin. Un jour est un autre, et un autre n’existe plus. Il a décampé pour ne pas affronter la nuit. Ni la nuit, ni le ciel déchiré.
Les orages ne sont-ils bons qu’à faire des chansons? C’est une autre histoire, que de porter leur manteau lourd plein de pluie. C’est une histoire qui demande le courage d’écouter le fracas, et celui d’accompagner le retour du soleil, de le regarder dans les yeux, quitte à se les brûler. Pourtant, sous la pluie, parfois, on y danse.
En attendant, elle tombe, en faisant des petits cliquetis sur l’âme. Elle. Le ciel n’est plus qu’une masse, un amas sans relief de gris jaunis. J’essaye d’y retrouver les interstices de lumière qui rendent l’orage lumineux, et dont les failles font tomber le précieux liquide qui rend la vie aux sols. Mais on me répond que l’orage ne créé aucune lumière, qu’il n’est que fracas et destruction. Une photographie de l’explosion. Un instantané perpétuel. Pourtant, et j’en ai la preuve sonore à l’instant, il n’empêche pas les oiseaux de chanter. L’orage n’est qu’un hoquet du ciel.
N’ai-je été que le hoquet de ton ciel? Réduite à une tempête qui n’a fait que passer, une tornade qui a eu le culot de faire trembler des murs de maison sans y briser les miroirs, y laissant tous les reflets possibles. Qu’y puis-je, si des draps sont posés devant. Comme dans ces vieilles maisons secondaires qui ne servent plus à personne et prennent la poussière du temps. N’ai-je été qu’un grondement étendu, jamais entrecoupé d’éclair? Un déchirement de ce ciel, sans la moindre forme de sourire.
Je me sens tornade puisque l’on m’y a réduite. Tornade poussée au coin de soi, figée dans le vent hurlant. Après le calme, revient la tempête. Et après la tempête, que vient-il? Le chant des fous et le silence des damnés.

18 avril 2023

Bon(s) anniversaire(s) (Pauvre avril).

ombre

 

*


Au début, l’envie d’un courrier, de poster une lettre
Mais pour te dire bonjour je ne sais plus comment faire
J’ai bien cherché des mots, tout au fond de ma tête
Dois-je ou non te souhaiter, joyeux anniversaire?

Drôle de date, pour tout dire, qui me traverse ce jour
Car un an en arrière, c’est la nuit qui m’a prise
Sur les cendres encore chaudes, de mon chagrin d’amour
La douleur d’un coup sec, refermant son emprise.

Puis ces mois ont suivis, où quelques uns trop lâches
Ont laissé une amie, d’un jour à l’autre, au silence
Pour sûr nombreux auraient trouvé ça vraiment dégueulasse,
Mais après tout, ma foi, le genre humain, quand on y repense.

La preuve dehors tout crame, incendies et colères,
Des forêts aux palais, des voitures aux poubelles,
Partout la même question, là entre ciel et terre:
Justice jamais nulle part, miséreux et abeilles.

Au contraire on enferme, on tue, on empoisonne,
Les terres, les corps, l’espoir, l’amitié, l’amour, l’Art,
Et encore aujourd’hui, Rosa sache que résonne
Ce vieux monde qui refuse d’aller jusqu’au mouroir.  

Mais je m’égards… je crois, comme l'a fait mon chemin
Voilà douze mois déjà, que cette folie m’a griffé
À errer dans mon lit les yeux tous gonflés dans les mains
À vivre l’ivre solitude, d’une vie qui vous a giflé.

Quelle drôle d’idée, tout de même, de nous souhaiter notre naissance
Comme si pour le soleil, nos vies d’humains avaient un sens
Mais gageons que du moins sur la tienne une étoile préside
Toi qui a su remplir de magie une bouteille vide.

Joyeux anniversaire très cher Amour brisé
Que la vie te soit douce comme ne le sera plus l’été

Et bon anniversaire à l’ombre assise à mes côtés
Nous levons haut nos verres en souvenir de l’amitié
Et bon anniversaire à l’ombre assise à mes côtés
Nous trinquons toutes les deux à ces amours fanés.





28 février 2023

Sur la solitude (réflexions).

absence

Illustration ELSÄH ART

 

                                                                                                                                        *


                       Sur la solitude.

I)    Lorsque vient le défi, l’aventure, ou le gouffre à franchir d’apprendre à vivre sa solitude, à l’écumer elle qui fait de nous une passoire qui fuit, on a souvent ces discussions d’adultes qui se disent « le problème, c’est surtout d’apprendre à être bien avec soi-même, de s’accepter, de s’aimer, de se suffire à soi ». Le genre de truc qui, sans aucun doute, prend toute une vie. Voire n'arrive jamais. Ce qui en soit n’est, je trouve, pas une réponse complète. Ou suffisante à cette question. Qu’est-ce, être seul-e? Qu’est-ce, solitude éprouvée?

Oui, c’est entendu. La solitude c’est ce faire-face à soi, à son intérieur, son antre intime et psychique, c’est entrer dans cette discussion avec ses blessures, ses désirs, refoulés ou non, ses voix qui disent et celles qui taisent, ses envies, ses incapacités, ses forces, ses savoirs, ses talents acquis, ses échecs perçus comme tels, ses regrets qui grattent, ses idées noires qui malmènent ou ses idées fugaces de grandeur et de sublime qui réorganisent les forces, ce « que vais-je laisser de moi? », ce qui suis-je? perpétuel, ce où vais-je?, qu’est ce qui m’appartient à l’intérieur et qu’est ce qui me vient de l’extérieur?, qu’est ce qui m’a construit-e, qu’ai-je envie de garder, de plaquer, de lâcher, de perpétuer, de transmettre, de renier, d’accepter, de - désormais - refuser. Oui, c’est entendu, c’est un sacré travail. Se retrouver seul-e pour s’accoucher de soi-même et se tenir debout devant notre ombre ou notre lumière. L’étreindre cette ombre, ou la gifler.  
De soi à soi sans voix extérieur. Qui nous appartient, tout entier, dans l’entièreté de son caractère, de son allure si infranchissable, cette montagne qu’il faut coûte que coûte, elle qui nous coûte, de gravir sans autre matériel que nous même au risque sinon de nous laisser la dévaler sans autre fin qu’un ravin mortifère.
Oui, c’est entendu.
Voici la solitude. Ce regard en miroir, miroir brisé jamais complet comme les pièces d’un puzzle, qu’il nous faut façonner, coller recoller décoller, en changer les pièces, en retrouver quelques unes planquées depuis des lustres sous le tapis comme une poussière de soi. Accepter de faire silence dans le brouhahas de son propre opéra. Un seul-e sur scène. Se regarder au fond, au fin fond des yeux jusqu’au delà de la pupille de son âme, comme deux médaillons brillants ou de larmes ou de joie profonde devenus reflets de ce qui doit être fait, écouté, compris, accepté. Délié, ressoudé.
L’audace d’apprendre à se regarder les failles. À se mettre le doigts dans les plaies. À tourner le couteau pour l’en sortir. À penser pour panser l’émotionné, à penser ce que raconte le récit sans mots, celui des chagrins, des angoisses, des peurs, des colères, mais aussi des joies, des pulsions, et des besoins. À se panser, à la fois docteur-e et patient-e de soi même. Patient-e. Patient-e. L’audace de s’être.
Oui, c’est entendu.

Voici la solitude. L’apprentissage du vide à combler. S’auto-combler. S’auto-cheminer. S’auto-redécouvrir. S’auto-réapprendre. S’auto-converser pour converger vers soi et, de là, vers l’autre, en sécurité, en confiance. Se demander comment déconstruire ce qui achemine les peurs du rapport à l’autre: de sa présence, de son absence. Regarder le film passé, le vécu et le tissu des expériences, le bâti de cette émotion dévastatrice: pourquoi, comment, quand. Se demander comment appliquer dans un quotidien social tout ce que cela soulève. Se regarder faire: agir, construire, créer, sublimer, tenter en sachant ses limites, reculer pour regarder, refaire de soi du sujet (positif), réagir, subir, répéter schématiquement, abandonner, nourrir le déni, perdre du sujet, se laisser gangréner par le ressentiment et les ruminations, laisser son être se nécroser avec l’effet boule de neige qui s’en suivra (négatif).
Oui, c’est entendu. Voici la solitude et son silence si bruyant qu’il nous convient d’apprendre à dompter.
Mais une pièce a eu, a, et aura toujours deux faces.



II)    Voici la solitude. Je suis seul-e car l’autre n’est plus là. Il y a un vide. Il y a une absence. Il y a la présence extrêmement douloureuse de cette absence qui crie au fond de moi, à l’intérieur, mais parce que l’extérieur la dit de mille manières. Intérieur, extérieur. Est-ce une absence ou une présence alors? Je ne sais plus.
Comme l’on dit que l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence, l’absence de l’autre n’est pas un autre absent. Il reste là, partout, dehors comme dedans. Et pourtant ne l’est plus.
Dans ce qui suit, je ne sais ce qui se traduit rationnellement ou émotionnellement. Je crois que les frontières sont floues et poreuses. Absence physique: plus de lèvres ou de peaux, de corps qui se collent et se mélangent, de leur chaleur échangée, de palpitations dans le cœur, et de tressaillements dans le ventre, de caresses, d’odeurs, de goût, de toucher. Plus de regards, de gestes, de rires qui rebondissent, de sourires qui se miroitisent, d’épaules qui accueillent ou de mains qui se prennent. Perdition sensitive, sensuelle, corporelle. L’autre n’est plus là, nulle part. Je suis seul-e depuis que l’autre a déserté physiquement l’espace, l’espace de mon propre corps, mais l’espace tout court autour de moi et de toutes ces dimensions, le lieu, l’objet, le symbole, le langage, l’image qui se tient devant moi: ce lit, ce café, ce lieu, ce là bas, ce livre, cette musique, cette phrase, ce mot, cette quiche sortie du four, …
Perte totale de repères. Le quotidien n’est plus. Espace et temporalité liés à cet autre brouillent l’espace qui n’a pas besoin de l’autre pour être. Les habitudes ont disparues. L’oralité partagée devenue silence. Le réel matériel, devenu uniquement symbole de. Immatériel.
Deux faces: moi, l’autre. Une face palpable, physique, réelle, là, elle se touchait, elle s’embrassait, elle conversait, elle riait ou pleurait devant moi, elle était là dans toute son existence. Je ne vois pas comment le fait de « retrouver mon enfant intérieur » ou que sais-je peut remplacer le fait que cette existence qui m’était extérieur mais si présente n’est juste plus là, atomiquement parlant.


III) Cette injonction de remplacer cette absence de l’autre en apprenant à combler son propre vide porte une part de non-sens. Une insuffisance. L’autre n’est pas soi-même. L’autre est l’autre tout entier. L’autre était là, ne l’est plus. Une absence est une absence. Je peux porter au dessus de moi tous les parapluies que je voudrais, il n’en pleuvra pas moins.
Peut-on accorder à ces absences, à ces absent-es, ce que raconte aussi le sel de ces larmes de pluie sur des joues solitaires? Qu’au delà du « aimes toi toi-même » qu’il faut s’apprendre pour surmonter le manque, ce manque est aussi un hommage à leur rencontre et à leur chemin qui a croisé le nôtre? À toutes ces traces d’eux laissées en nous?
Peut-on penser la douleur solitaire de l’absence non pas comme un unique gage de devoir faire cet apprentissage de vie de s’accepter, s’aimer et autres bullshits de développement personnel, mais tout simplement pour ce qu’elle est?
Une absence. Deuxième face du chant solitaire. Je suis seul-e aussi parce que tu n’es plus là après que tu l’ais été. Ma solitude ne parle pas que de moi, elle me parle de toi. Elle ne me parle pas que du vide existentiel que nous trainons à bout de bras sur notre montagne, elle me parle aussi du vide que tu as laissé après ton passage près de moi. C’est un vide qui s’ajoute au vide.
Qu’importe qui tu as été: parent perdu, amour déchu, frère ou sœur disparu-e, ami-e parti-e, ou même animal compagnon.

Voici donc la solitude. Cette discussion et cette expérience psychique et physique, de soi à soi, et de soi à (l’absence de) l’autre.


15 février 2023

La salle d'attente

Salle attente

"Et si je vous disais que même au milieu d'une foule, chacun par sa solitude a le cœur qui s'écroule" (Pierre Lapointe)

Illustration ELSÄH ART



La fenêtre ne veut pas s’ouvrir.

Il y a plusieurs images sur le papier peint autour. Il y a celle du premier pieds qui reste collé au sol, englué, le second lui sommant d’avancer mais sans qu’aucun bruit ne sorte. Cloche pieds. Cloche cassée. Il y a celle des murs qui se rapprochent, qui avancent lentement, comme une expansion d’univers inversée. Rétractation. Un toujours possible-probable-imminent big bang intérieur qui ne cesse de guetter. Une présence de l’être-néant qui gravite, lourde, rappelant à elle tout ce qui tente de se défaire de son  atmosphère. Trou noir en veille. Je perçois le vaisseau à quai au loin. Si loin. Flou.
    - Non, c’est un mirage.
    - Parce que toi, tu n’en es pas un peut-être?

Il y a l’image de la table aux trois pieds. Nous sommes tous-tes né-es avec cette table, et le but est de construire chaque pieds et surtout le quatrième pour solidifier notre édifice, jusqu’à ce que celle ci soit devenue si lourde de vécue que lentement, doucement, elle s’enfonce dans la terre. Avec grâce, équilibre, sagesse et acceptation. Parfois, l’accident vient couper des morceaux, voir des pieds entiers. L’accident du réel. L’effraction du réel. La vie cisaille, entaille, entame, coupe, détruit. Voilà, c’est ça. Ma table n’a plus que deux pieds. Je cherche ce qui doit venir tenir, supporter, lever cette partie sans pieds d’une table qui commence déjà à s’enfoncer dans la terre. Je cherche le Cric. Crack. J’ai l’univers interne qui s’est déchiré.
J’ai un pieds collé au sol, et j’ai deux pieds de table qui manquent.
Il y a l’image du temps qui ondule, s’étire et se resserre comme un élastique. Serpent venimeux qui me mord pour m’endormir le futur ou s’enroule autour de moi pour m’étouffer de passé. Accrochée à ses crochets-poison. Poison prison.

« How can I begin anything new with all of yesterday in me? »*

Il y a l’image de l’orchestre bruyant des foules et des ceux qui vivent en riant avec éclats dans le dos de ma mémoire, d’un rire qui réchauffe des cœurs mais qui s’est arrêté aux douanes de ma présence. J’ai perdu mon rire dans l’univers rétracté. Comme un objet céleste non identifié qui dérive dans l’immensité du vide. Je n’entends plus, je n’enfante plus que celui qui théâtralise le présent pour ne pas s’effondrer sur la scène sociale. Et toujours ce sentiment absurde de cette solitude qui augmente noyée dans le nombre, poisson à l’écart du banc en eaux froides. Cette solitude du soi collective. Ce je-suis-j’existe qui s’efface dans le tumulte des voix, des gestes et des chants. Cette disparition de soi, cet effritement de l’être qui ne sait plus s’extérioriser tant l’extérieur a été vecteur d’un intérieur douloureux. Cet être qui se repli, en mille petits morceaux de souffrances, sur soi, contre soi, dans soi, contre tout l’au-dehors. Qui se repli en milles petits plis dans le grand pli du monde. Ce petit rien qui se débat pour être à ce monde, monde naufragé. Cette plaie béante qui ne se suture pas et susurre toujours les même chants de sirènes pour emmener vers les fonds. Et au fond, dans ce fond, cette question sans réponse qui éclot à répétition dans l’eau et tente de remonter par petites bulles à la surface de ces autres: la question de la création de cette faille de tremblements de taire, qui est là, gigantesque à mes pieds, de l’explosion de ce volcan d’absences et des brûlures de lave laissée sur une peau de chagrin portée en manteau, de la Sysiphe-douleur poussé à bout de bras ballants dans ce désert infini dont les dunes ne cessent toujours pas d’apparaître, de l’apocalypse intérieur qui encore grésille, draine, entraine, dévore, de cet effondrement qui a été si total qu’il a fissuré chaque mur et, par effets dominos, ébranlé totalement toutes les fondations de cette maison intérieure qui se sent désormais bâtie en village interdit. Les villageois ont-ils pris la teneur de la force destructrice de la catastrophe vécue?  Silence. Rideau. Mise au tombeau. Morsure sur l’ecchymose même. Bleue.

Il y a l’image de la salle d’attente. Avec ses nuits bleues et ses jours qui bégaient. Pas de fenêtre, une porte fermée à clé, un carrelage glacé. Attendre que les murs cessent de dégouliner, que le plafond cesse d’être si blanc, que le sol cesse de trembler, que la lumière cesse de grésiller. Et ce papillon de nuit qui s’est perdu dans un jour gris et tourne en rond en se tapant la tête contre l’horizon. La salle d’attente où aucune personne ne sait ce qu’elle attend, ni pourquoi il faudrait le savoir. Cette salle d’attente où il faut trouver l’essence, trouver du sens au sens. Cette salle d’attente où l’on espère que la porte s’ouvre tout en étant sommé d’apprendre à y rester seule. Cette salle d’attente remplie de fantômes qui rôdent devant nos yeux et près de nos oreilles. Cette salle d’attente où notre étant s’étire, s’étend, se plie, se déplie, se roule en boule, s’explose, se rue, s’abandonne, s’acharne, se décharge, se rempli, se vide, se recharge, se peint, se pinte, se dépeint, se crispe, s’angoisse, se défait, se contre-fout, se pourquoi, se comment, se avec-qui, se les gèle, se brûle, s’impatiente, se soigne, se défonce, se petite-mort, se grandi, s’enlace, se gifle, se caresse, s’entaille, se fissure, se soûle, s’abat, se débat, se débat avec soi, s’enlise, s’étreint, s’exhale, s’extrait, s’immisce, s’endort, s’abruti, se maudit, se gargarise, se gronde, s’engueule, se tait, se fait dessus, se marche dessus, se laisse dessous, se gratte au sang, se lave du chagrin, se parfume au néant, se martèle, se martyrise, se marre de tout, se marre tout seul, s’oubli, se sait, s’attend. Se manque. Se haï.
Cet étant qui n’est plus ce qu’il était depuis la bascule et ne réussi plus à savoir qui il doit être, puisque tout repère est parti en fumée noire et visqueuse. J’ai des riens plein les mains, plein les lendemains. Des centaines de petits bâtons griffonnés sur les murs qui griffent le temps qui passe en me narguant de cicatrices blanches. Et le silence pour compagnon.


* Leonard Cohen, Beautiful losers.


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9 janvier 2023

Deux mille vingt bleue.

2023

Illustration ELSÄH ART

***

J’essaye de me promettre qu’il ne me faut plus rien me promettre.
Trouver la dose juste entre l’instant loyal du doux soupir du chien, son ronflement et l’air qui vibre,

et les entrailles du mental qui tabassent et poussent mémé dans les insomnies.
Toujours la tête à l’envers dans le cercle du looping ; précédée du cri, dépassée du rire,
Jaugeant le verre brisé à moitié vide et l’immensité du dehors qui s’étire en horizons,
à la loupe de l’angoisse, de l’angle aigu, du coin, de l’impasse, à me dompter mon propre cirque inconscient.


J’apprivoise mon starter, mon start-cœur, posé sur les lèvres de l’oubli qui grince, encore, porte de sas pas refermée.
J’ai des envies de coups de pieds au calendrier, de coup de massue sur la calandre de ma turne, turne enfantine-enfantasme, qui me ramène toujours à la même intersection pour m’y sectionner l’palpitant.


Je ne dis plus tu, je dis il, pensée poncée déposée dans une île, lointaine. Lointaine litanie dont le ressac amène encore quelques échos, petits coquillages coupants, sur le bord des couvertures amoncelées comme des petites montagnes-cabanes à se cacher de soi, dans le creux des nuits bleues qui s’étirent jusqu’à la non-aube hivernale.


Je voudrais ne plus avoir besoin d’avoir à dire au silence, dire des mots pour momifier l’histoire intime du cœur tremblant, qu’un pétale de rose se dépose sur ma bouche, pour m’enivrer de nouveau, d’un nouveau. De vapeurs de l’ivre vivre. D’un silence infiniment doux et qui se suffit au grandiose.
Je voudrais danser à n’en plus finir une nuit, jusqu’au siècle prochain, et m’y mirer dans des yeux qui pétilleront tellement que le sol en tremblera. Deux yeux, mille yeux.


Je ne me promet plus rien, je préfère me propulser, et me mettre, me pro-mettre en partance de partout et de nulle part, jusqu’à la voûte céleste de l’impossible possible, y goûter un aperçu des poussières d’étoiles qui drainent chaque brindille, oiseau, roc, écorce, racine, pigment, sourire, tchin, voix, étincelle de pupille, poing levé et cri du c(h)œur.

Si je, t’effondre, tiens-toi bien. Tiens toi bien au delà de la nuit bleue.

Ne serait-ce que pour sublimer le bleu en or et l’or en bleu-mésange.

 

26 octobre 2022

Journal d'une absence.

 

temps

 

***

Frêle étreinte d’un séjour de l’éloignement. Car c’est uniquement de cela qu’il s’agit. J’envie les ceusses qui s’éloignent d’un lieu ou d’un qui, dans la continuité sereine de leur chemin. Et non pas le couteau sous la gorge, à s’échapper pour se créer des recommencements. Par la force. Volonté de dé-lier pour survivance impérieuse. Il paraît que c’est courageux ; ça le serait s’il y avait d’autres choix possibles et que le choix se fasse sur le plus dur. Il n’y en a pas. D’autres choix. Rien de courageux là dedans.

Les étendues grandioses en robe de montagne, parées de colliers de feu au crépuscule et de dentelle de nuages au matin ; essayer de lire Sénèque qui parle de la brièveté de la vie comme si ça pouvait devenir un remède ; pleurer sous les chênes merveilleux et parler aux champignons ; ou écouter la chanteuse au nom de fruit qui ramasse des pierres au bord de l’eau et essaye de consoler le monde entier.


Peut-être que ça parle de la même finalité que celle évoquée dans Consolation à Dagerman, de C. Montserrat-Cals - et oui, même mes lectures sont tu-imprégnées. J’ai attendu plusieurs mois pour le lire, dans l’impossibilité d’en ouvrir les pages, tétanisée du souvenir que cela allait faire exploser en moi. Ce qui est ridicule, tu offres des livres à tout va. Comme si ça avait été un geste particulier. Ce sens, ce récit en soi que l’on met dans le gestes des autres quand il n’en est rien a fini de m’auto-exaspérer.
Alors, voilà. La consolation -viendrait- d’ici: dans la bonté, de l’autre à soi. De ce il/elle, de ce tu, à je. Fugace, impromptue, éclair, feu. Imprévisible, inattendue. Embrasement, embrassement. Pas celle des morales religieuses, celle qui fait parler un cœur en un regard pour soulager le deuxième, sans retour attendu. Touché-consolé. La consolation ne provient pas du je. On ne peut s’auto-consoler.
Dagerman s’est, selon l’auteure, tué car il n’a « pas su accueillir cette bonté », s’est refermé sur son silence des mots et sa douleur.


Et s’il ne l’avait tout simplement pas croisé? Nulle part? Et si aucun signes, si infimes soit-il, de cette bonté n’était jamais apparu dans le champ de vision de son âme en attente? Qu’est ce, le contraire de cette bonté? Qu’est ce, l’absence de cette bonté? Le banal. Le quotidien. Le dé-vivre ensemble. Tout un chacun.e noyé.es dans nos tourmentes et nos propres appels à l’aide. Qui tue qui? Qui défait les espoirs? Qui construit puis alimente les attentes? Qui nous fait nous sentir si seul.e, laissé.e à part, que le gouffre nous appelle à lui, nous enveloppe, nous berce, seule présence concrète? Qui nous enlève ce goût des joies, ce désir de l’envol, cette recherche de jouissance du tout, ce feu brûlant de faire corps guidé par notre propre individuation? Ce je à tu. Ce je à nous. Ce je au monde. Est-ce uniquement je? Sommes nous malades de ce je? Ne sommes-nous pas tout autant malades des autres? Qui est ce je sans tu?

Je crois que si je fuis dans les montagnes, c’est pour m’entourer de cette immense bonté géographique et céleste ; rien en moi n’attend plus celle-ci des âmes errantes, fatiguées et malades de vivre qui m’entourent, ni des bienheureux ou des sages, qu’importe leur sourire, leurs rires et leur tendresse. J’ai bien compris que la tendresse ne faisait pas tout, mot fourre-tout. Rien en moi n’a envie, désormais, d’attendre quoi que ce soit de l’autre. Dagerman s’est tué, inconsolable ; je crois que j’ai tué l’Autre, déchirée d’une présence qui a parcouru mes tripes pleines d’un « amour impossible » (impossible… deuxième mot fourre-tout) pendant des mois, et lacérée du silence et du temps qui a dû s’imposer pour soigner.
Le silence ne soigne rien, il nourri les doutes, les peines de l’absence, et le lot de pérégrinations mentales du soi à l’autre - comment est ce qu'il le vit? ça a l'air d'aller, pourquoi moi j'en chie? - cet autre qui ne doit « plus exister », ni ailleurs ni là,  ne pouvant exister qu’à moitié, ne pouvant exister qu’amitié, le silence pour s’en défaire. Le silence n’est fait que pour s’empêcher de dire à haute voix: je t’aime, encore, toujours, tout le temps, partout. Le silence est ma propre main collée à la bouche de mon cœur. Il se couche le soir avec moi sous les draps, et un beau jour, explose. Raconter ces émotions pour ne pas s’y faire enterrer vivante.


Quant au temps, ça ne suffit pas de se dire ou s’entendre dire qu’il réglera tout: mon cœur n’est pas une horloge ; je suis au présent, pas au futur. Trop dans le passé, ça oui, je le sais. Mais s’il y a bien quelque chose d’intouchable, et de franchement contradictoire, c’est celui d’être certaine, au présent, que tout sera plus léger plus tard. C’est quand plus tard? Combien d’automnes? Combien de fois dois-je entendre à l’improviste La Princesse et le croque notes pour ne plus avoir cette boule dans le ventre qui remonte dans la gorge et se dégueule en soubresauts sous mes yeux? Donner du sens à des choses, des chansons, des images et des lieux, ça aussi, m’auto-exaspère. À quoi bon? Pourquoi se mémoriser quelque chose qui n’a plus lieu d’être, qui s’est explosé en plein vol.

Te fuir ; te dire un j’y arrive pas sans réponse ; ne plus rien te dire ; taire ; m’empêcher ; interdire ; nous enterrer ; effacer sans rien effacer ; repousser l’image ; la sentir s’immiscer dans la sieste, dans la nuit, sur l’oreiller, dans le café, dans la fumée de cigarette, la tousser, la crier ;  des verbes et des verbes ; l'écrire ; j’en brode mon chagrin. Je m’en épuise. Je, et toujours tu.

Que plus tard vienne, qu'il vienne et vite, t'emporte avec lui. Car moi non plus je n’ai pas la patience des femmes de marin.

8 octobre 2022

Une fenêtre.

fenetre

Illustration ELSÄH ART

 

***


J’emprunte des mots au temps qui passe et l’espace qui le diffuse. Que tout semble s’être figé, mais que pourtant, le monde continue de tourner et de gueuler autour. Comme si je m’étais assise dans un pot de gelée à la groseille. Tout tremble. J’ai essayé d’échapper au sucre glace du silence bruyant, en partant à la rencontre du monde vivant, vibrant, et, dans le ciel rose de la dernière matinée, tôt, très tôt au son des brames du cerf, j’ai chanté intérieurement pour adoucir l’absence qui était toujours là, assise avec moi sur le banc. Une étoile qui s’effaçait du ciel en robe d’aurore s’est elle aussi figée, sur ma joue. Elle a coulé l’absence qui était toujours là. J’avais envie de lui prendre la main et de courir. Tailler un sprint avec l’absence pour qu’elle se transforme en oiseau.

Partir. Partir ou fuir. Je ne sais plus.

Je voudrais te montrer comme c’est beau ici et poser ta main sur mon cœur pour te faire sentir les palpitations que ça fait là dessous, au bruit des cloches d’un troupeau qui paisse plus haut. Que si je ressens une forme de joie dans cet écrin, c’est grâce à ce bruit au loin car il marie le silence et le vivant, avec une simplicité brute. Le tumulte de la ville ne fera jamais ça, il écrase tout et enferme ces joies entre quatre murs. Un bulldozer de ciment. La ville est meurtrière des instants de grâce. Elle les planque dans les reflets de flaques d’huiles sur le bitume et ceux qui s’échappent du ciel gris dans les interstices des arbres qui pleurent, les racines encroûtées.

Partir. Partir ou fuir. Je ne sais plus.

Toi, tu avais cette photo au dessus de ton bureau, tu en avais fais une histoire à force de la regarder. À force de l’aimer. Comme tu faisais des histoires avec à peu près tout. Tu avais même fait une histoire - chantée - de mes matins. Cette photo, c’était ta fenêtre. Partir, partir ou fuir. Je crois que je cherche encore cette fenêtre, et que c’est peut-être celle-là. Qu’en l’ouvrant, avec son bruit de vieille fenêtre en bois, c’est comme si j’ouvrais un chemin nu qu’il faut habiller de rêve. Partir, partir ou fuir. Prendre mes pinceaux et mes crayons et me dessiner ma fenêtre. Pas celle où il faut sauter ; celle qu’il faut transformer en tableau.

Peut-être que je fuis le départ ; peut-être que je tente de partir d’une fuite. Les deux à la fois. Avec toujours ces cases manquantes de sens qui me lient les pieds. Comment rouvrir une fenêtre sans avoir fermée la précédente? Je suis en plein courants d’erre.

Nous avons besoin d’horizon. D’un espace infini pour y tirer des lignes de fuite. Partir. Partir ou fuir. Vers quels point, je ne sais. Personne ne le sait. Un amas de points imaginaires dans laquelle on apprend à ouvrir des fenêtres sans vitre, construire des ponts sans pierres et traverser des ouragans, nu.

J’emprunte des mots à Thiéfaine. Peut-être que je rêve tellement d’avoir été. C’est même sûr. Je rêve trop de nous avoir été. Que si partir c’est mourir un peu, j’ai [sûrement] passé ma vie à partir. Comme avant, et comme avant. Ma vie entière est une fuite en avant, bloquée en arrière. Courir avec un torticolis. À attraper des mains que je perds ; des rencontres ensavonnées. Bulles qui éclatent.


Je sais que mon monde intérieur chante dans une langue étrangère. Je passe par les bas côtés. Par les fossés. Et même, les gouffres. Il faut que je m’enterre au plus profond de moi pour m’entendre, toucher à mon échos, me prendre par les épaules, me serrer contre moi-même. Ce monde n’est pas fait pour les engouffrés. Il ne communique que par des surfaces. Des jeux d’être. Des geôles à cruauté qui se perdent en paradis. Il embitûme le sensible. Il enterre les fêlures, les fêlés. Celles et ceux qui crient le vide pour le sublimer. La folie m’a toujours sauvé, et m’a empêchée d’être [folle]. J’ai envie de me dire, sans le poser en vérité absolue (qu’est-ce, vérité absolue?), que seuls les enténébrés savent discuter avec le réel. Que les autres glissent jusqu’à la tombe avec leur vide au creux des reins, et, sans doute, exhalent leur premier souffle de vie au dernier.

Et, j’ai envie de me dire, dans une vérité qui m’est absolue, que la fenêtre de tes yeux ne se referme toujours pas et qu’hier comme aujourd’hui, le goût d’inachevé sur les lèvres du cœur me taraude. Fuir, alors. Dans un tableau aux volets bleus. Je partirai ensuite.

 

 

17 septembre 2022

Le vase.

vase

(image ELSÄH ART ILLUSTRATION )

 


(Tu sais ce qui est pire qu’une séparation? Une rupture.
Dans la première, chacun regarde devant soi
Dans la seconde, y’en a un des deux qui se prend le mur)

 

***

Je tiens cette bouteille, qui est vaste, qui est vase
Étendard brandi aux yeux asséchés de la nuit
Je ne sais que trop bien par quelle sinistre emphase
L’ivresse me recrache mon ombre et m’en nourri le cri.

Mon lit se fait théâtre, aux répliques de chagrins
J’y foule la scène de mes noirceurs d’inertie
Le monologue intérieur éclot d’échos, se fait écrin
Piégé du silence, d’un épilogue sans éclaircie.

J’ai le sommeil du chien, et la lueur de la ville
J’ai la tristesse des murs pour me tenir compagnie
Funambule du temps qui file, qui s’étend, qui s’étiole, se défile
Dans l’écorché vif d’un avril fané ; longue et snob litanie.

Je suis à côté de mes pompes et à côté de moi-même
Coincée au point-virgule de mon être, entre l’hier et le demain
J’ai le goût du rien, le goût du pire, le goût du blême
Éreintée de chercher sous chaque pierre l’oubli de ses mains.

Adossée au papier qui a peint mon été
Maison d’errances aux étages sans paliers
Parchemins de flammes, vous qui m’avez laissé gelée
Me voilà noyée dans les limbes de grains du Grand Sablier.

Je fais d’un matin un soir, et d’un soir un matin
Les volets reclus sur les chants de l’envie
Des fragments de cet autre dont j’ai perdu la main
S’immiscent aux frissons des souvenirs qui nous lient.

Je cuisine une fuite, dans des casseroles trouées
Comme une histoire en sucre à offrir aux oreilles
Je mets du Rimmel à mes pleurs, et du miel sur mes plaies
Et me dérobe au soleil qui salue mon sommeil.

Au matin de midi, quand se dispersent les songes
Ma fatigue danse nue au creux du marc de café
Les traces de solitude que laisse la tasse me rongent
J’écoute bailler le chien pour m’emplir d’altérité.

Je déplace le cimetière des vases vides au jardin
et j'y vois danser le cadavre de nos tendresses
Peut-être qu’une ancolie y poussera demain
Ornée de cette couleur du cœur rouge-détresse.

Je me répète cette phrase poubelle, cette pensée charabia
Qui dit que tomber rend plus forte, tomber rend plus forte
Sauf que lorsque l’on tombe tout au fin fond de soi
C’est ma foi qu’on est déjà, en somme, un peu morte.

Interminable traversée écorchée de silence
J’écris pour me rappeler mon nom, et en effacer d’autres
Dans l’échos des absences, la nonchalance où je me vautre,
J’ai la gorge nouée du goût rance d’une rupture qui me tance.

Étranglée par les bras du réel qui danse
Enserrée du réel et de son insolence
Étranglée par les bras du réel qui danse
Enserrée du réel et de son insolence.

4 septembre 2022

Tout s'est offert à la nuit.

 

nuit


(image ËLSAH ART )

 

*


Chaque nuit vient comme une mâchoire
Mordre le mental qui tourne, petit manège
Et tire le grand rideau noir
Comme à l’hiver, le blanc manteau de neige.

Je ne pleure pas votre absence
Là, sous les paupières ouvertes
Mais toujours cette présence
Qui se rappelle à moi, perdue, inerte.

J’attends, sous une couverture de silences
La tête posée contre le monde bruyant
De retrouver l’élan, le seul pas de danse
Pour s’échapper d’une valse d’avec le néant.

L’irrémissible me berce et me couve
La faute est froide comme ses barreaux
Elle s’agrippe aux songes, à pas de louve
S’immisce dans ma gorge à coups de crocs.

Puis le jour, un jour, s’est fait nuit
Après la nuit, après la nuit plus de jour
Le grand rideau, changé en habits
Portés pour l’hiver de nos amours.  

Je me vêtis le jour de nuit,
Et laisse filer le temps
Une horloge cassée sous mon lit
Et l’aube, éreintée, grinçant des dents.

Le linge mouillé de cauchemars
Sent l’amertume de la fumée
À l’horizon, s’est éteint le phare
Des douceurs de la matinée.

L’aube est nuit,
Le rêve est nuit,
Le corps est nuit,
L’ennui même est nuit,
Le silence est nuit,
Le cri est nuit,
La paupière ouverte, la paupière fermée,
La bouche qui dit, la bouche qui tait,
Le tremblement des absences
Et la morsure de l’existence:

Tout s’est offert à la nuit.




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S'asseoir au bord du monde
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